Trouvères
Comme pour les troubadours, l’évocation des trouvères soulèvera peut-être quelques réticences. Pourtant, exactement comme leurs prédécesseurs occitans, les trouvères sont maîtres dans l’art poétique et dans l’art musical, à la fois chanteurs et compositeurs.
Un certain nombre d’entre eux affichent une maîtrise dans l’un ou l’autre de ces arts qui les fait sortir du lot.
Parmi les principaux représentants de cet art, il convient de mentionner Thibault, Comte de Champagne, et Roi de Navarre. En charge de l’administration de deux territoires conséquents, sa vie a été rythmée par les voyages biannuels, pour se rendre dans les cours de Troyes et de Pampelune, pour y assumer ses fonctions. Son art, entre autres particularités, est au contact des créateurs du Sud, et des derniers troubadours. Les manuscrits qui nous transmettent ses chansons présentent des caractéristiques remarquables : les mêmes séries de chansons s’y retrouvent, fréquemment dans le même ordre. Si l’on trouve quelques variantes, avec parfois des musiques différentes pour un même texte, en revanche, la précision de l’organisation de la plupart de ces manuscrits fait poser l’hypothèse, par plusieurs spécialistes, que Thibault lui-même aurait présidé à l’assemblage de la collection, dans un ou plusieurs manuscrits aujourd’hui perdus, qui auraient servi de modèles pour ceux que nous connaissons. Avec le dernier troubadour, Guirault Riquier, qui est pratiquement son contemporain, Thibault de Champagne est le premier artiste identifié qui aurait décidé de son vivant l’assemblage de ses chansons dans des manuscrits. Ces exemples inspireront probablement le roi d’Aragon Alphonse le Sage.
En plus des trouvères « classiques », qui maîtrisent la poésie et la musique, et la relation de l’une à l’autre, certains créateurs ont fait preuve d’une versatilité particulièrement remarquable, et développé une diversité de pratiques qui dépassent le cadre habituellement investi par leurs collègue.
Il convient par exemple de mentionner Adam de la Halle, dit aussi Adam d’Arras, ou Le Bossu. Non seulement il est l’auteur d’une série de chansons conservées dans plusieurs manuscrits musicaux, qui partagent des traits stylistiques avec ses collègues du Nord, ainsi qu’avec ses devanciers troubadours, mais il est également novateur dans au moins deux autres domaines, dans lesquels les trouvères ne s’aventurent pas. Adam est en effet connu pour être le premier musicien des terres chrétiennes à avoir associé son nom à des musiques polyphoniques sur des textes profanes. Ce sont deux séries, qui font encore l’étonnement des musicologues aujourd’hui : les Rondeaux et les Motets, deux laboratoires d’expériences très contrastés. Les Rondeaux déploient de petits tissus polyphoniques épousant les récurrences poétiques de textes brefs, le tout donnant un sentiment étonnant d’élégance, et de pureté sonore. Les Motets associent généralement trois textes différents par pièce, qui sont chantés en même temps, dans un style plus touffu et complexe.
Mais en plus de ces laboratoires d’expériences, Adam de la Halle pourrait presque être considéré comme le précurseur de l’opéra ! En effet, il laisse deux poèmes dramatiques accompagnés de musique, le Jeu de Robin et Marion et le Jeu de la Feuillée, qui font intervenir des personnages s’exprimant au style direct. Ces poèmes font pendant à la floraison des drames sacrés, qui se jouent sur les parvis des grandes églises, depuis au moins le début du XIIIe siècle. Ce qu’Adam introduit est une variante profane de ces drames, même si la morale de ses deux poèmes dramatiques demeure religieuse.
Il faut encore faire une place particulière au dernier grand poète-musicien du Moyen-Âge, qui, à lui seul, aurait mérité une page à part : Guillaume de Machault.
A bien des égards, celui qui peut être considéré comme le dernier trouvère, est aussi un créateur dont le catalogue plaide pour la pluralité créative. Compositeur d’une des premières messes polyphoniques signées, il laisse également, en plus d’une très belle série de chansons, plusieurs ensembles de pièces musicales que l’on a classées en fonction des genres poétiques, en grande partie parce qu’elles reproduisent les mêmes caractéristiques, pour chacun de ces genres. On trouve ainsi des Ballades, des Rondeaux, des Lais, des Virelais, des Chants Royaux, des Motets, des Complaintes, dont un nombre significatif est accompagné de musique. En plus de cela, il laisse un large catalogue de textes narratifs, ou Dits, parmi lesquels le Remède de Fortune, et le Jugement du Roy de Navarre. Machault devait par ailleurs assumer des fonctions ecclésiastiques. Il s’est également vu chargé de plusieurs missions diplomatiques, et a beaucoup voyagé en Europe.